LA CAMPAGNE

Les décisions de justice

L’arrêt Blaise confirme la conformité du règlement européen sur l’homologation des pesticides au principe de précaution

Arrêt Blaise, 1er octobre 2019, C-616/17

Le 1er octobre 2019, la CJUE a rendu un arrêt (C-616/17) répondant aux questions préjudicielles posées par le Tribunal correctionnel de Foix sur la validité du règlement européen concernant les méthodes d’évaluation des pesticides. Le règlement 1107/2009 impose que les industriels prouvent que les produits qu’ils entendent commercialiser n’aient pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé et l’environnement. Les preuves scientifiques sont vérifiées par l’EFSA au niveau européen pour les substances déclarées actives, et dans chaque pays membre pour les produits commercialisés avant leur autorisation.

1. Concernant l’identification des substances actives d’un produit pesticide

La Cour confirme que les obligations du demandeur concernant l’identification des substances actives dans le cadre d’une demande d’AMM pour un produit pesticide sont suffisantes.

Les données exigées pour l’approbation des substances actives (règlement (UE) 283/2013) doivent être suffisantes pour identifier chaque substance active et en définir les spécifications et la nature. [1] (Point 56).

Lors d’une demande d’AMM, le demandeur doit faire état de toute substance entrant dans la composition d’un produit et ne peut choisir discrétionnairement le composant devant être considéré comme étant une substance active. Dès lors, la Cour relève qu’il incombe aux autorités nationales de s’assurer que l’obligation d’identifier les substances actives contenues dans le produit pesticide visé par une demande d’autorisation a été respectée par le demandeur, notamment que ses substances actives aient été approuvées. (Point 59)

De plus, si les exigences énoncées ne sont pas respectées, notamment si le titulaire n’a pas mentionné toutes les substances actives d’un produit, son autorisation peut être retirée.

[1] Les conditions que doivent remplir les dossiers à soumettre en vue de l’approbation de substances actives sont détaillées à l’article 78, paragraphe 1, sous b), du règlement PPP, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, de ce règlement. En dernier lieu, elles sont détaillées par le règlement n°283/2013/UE du 1er mars 2013 établissant les exigences en matière de données applicables aux substances actives, conformément au règlement n°1107/2009/CE du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO L 93/1 du 3.04.2013), plus spécifiquement à la section I, de la partie A de l’annexe.

2. Concernant la prise en compte de l’effet cumulé des composants d’un produit

La Cour a statué qu’en vertu du règlement 1107/2009, les procédures conduisant à l’autorisation d’un pesticide « doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit. » (Point 75)

L’interaction entre les substances actives, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants doit être prise en compte tant au niveau européen lors de l’évaluation d’une substance active sur au moins une formulation représentative la contenant, qu’au niveau national pour chacun des produits commerciaux (point 65).

3. Concernant la fiabilité des études scientifiques produites par le demandeur à l’autorisation d’un produit pesticide

Le Tribunal demande à la Cour si le fait que les études démontrant l’absence de nocivité des pesticides soient fournies par les industriels est conforme au principe de précaution, en raison du risque de partialité.

La Cour rappelle que la qualité des essais et études produites pour démontrer l’absence de nocivité des produits et des substances actives est encadrée (règlements 284/2013 et 283/2013).

De plus, « L’État membre saisi d’une demande doit procéder à une évaluation indépendante, objective et transparente de cette demande à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, tandis que l’Autorité doit se prononcer compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques » (Point 88)

 « il incombe aux autorités compétentes, en particulier, de tenir compte des données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que des résultats les plus récents de la recherche internationale et de ne pas donner dans tous les cas un poids prépondérant aux études fournies par le demandeur. » (Point 94)

4. Concernant la publicité du dossier de demande d’autorisation

Le Tribunal demandait s’il n’y avait pas incompatibilité entre la confidentialité de certains éléments du dossier des demandeurs et le principe de précaution.
La Cour relève qu’« il ne saurait être exclu que le renforcement de la transparence de ces procédures soit de nature à permettre une meilleure évaluation encore du risque pour la santé résultant de l’utilisation d’un produit phytopharmaceutique, en permettant au public intéressé d’avancer des arguments s’opposant à l’octroi de l’approbation ou de l’autorisation sollicitée par le demandeur ». (Point 102)

La Cour rappelle également que « les États membres ne peuvent prévoir qu’une demande d’accès qui concerne des informations relatives à des émissions dans l’environnement soit rejetée pour des motifs tirés de la protection de la confidentialité des informations commerciales ou industrielles. » (Point 107)

5. Concernant l’absence d’études de carcinogénicité et de toxicité aux fins de la procédure d’autorisation

Seule la substance active déclarée fait l’objet de tests de toxicité à long terme et de carcinogénicité. Sachant que les produits commercialisés peuvent être jusqu’à mille fois plus toxiques que leur substance active, le tribunal interrogeait la Cour sur la conformité au principe de précaution du régime d’autorisation des produits.

La Cour rappelle qu’en vertu des dispositions du règlement 1107/2009 énoncés à l’article 4 §3 b)[1], un pesticide ne saurait être autorisé s’il présente une forme de carcinogénicité ou de toxicité à long terme.

« Il incombe donc aux autorités compétentes, lors de l’examen de la demande d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique, de vérifier que les éléments présentés par le demandeur, au premier rang desquels figurent les essais, les analyses et les études du produit, sont suffisants pour écarter, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles, le risque que ce produit présente une telle carcinogénicité ou toxicité. Dans ce contexte, les « tests sommaires » mentionnés par la juridiction de renvoi ne sauraient suffire à mener à bien cette vérification. » (Point 116)

La Cour explique donc que les analyses de toxicité à long terme et de carcinogénicité devraient être effectuées non seulement dans la procédure d’approbation des substances actives, mais aussi lors de l’examen des demandes d’autorisation de mise sur le marché.

Toutefois, dans la pratique, les autorisations de mise sur le marché sont délivrées sans analyse de toxicité et carcinogénicité à long terme des produits finis tels que commercialisés, ce qui relève d’un défaut d’application de la réglementation européenne.

[1] Un produit phytopharmaceutique, dans des conditions d’application conformes aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d’utilisation, satisfait aux conditions suivantes : […] il n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable (compte tenu des substances résultant du traitement de l’eau), des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles; ou sur les eaux souterraines […] » article 4, paragraphe 3, sous b).

La CJUE confirme la jurisprudence sur l'autorisation de mise sur le marché des pesticides

Arrêts PAN Europe, 25 avril 2024, C-308/22, C-309/22 et C-310/22

En 2019, PAN Europe a déposé 3 plaintes devant un tribunal néerlandais, contre la réautorisation du Closer (Sulfoxaflor), Dagonis (Difenoconazole) et Pitcher (Fludioxonil). L’agence néerlandaise d’autorisation des pesticides (CTGB) n’a pas utilisé les connaissances scientifiques et les guidelines les plus récentes pour l’évaluation des effets de perturbation endocrinienne ou de la toxicité sur les abeilles. Le CTGB a rejeté la demande de PAN dirigée contre sa décision d’autoriser la mise sur le marché de ces 3 pesticides. En 2022, la Cour néerlandaise pose des questions préjudicielles à la CJUE.

Les trois arrêts de la CJUE confirment la jurisprudence Blaise : l’évaluation des risques des pesticides doit être basée sur les connaissances scientifiques ou techniques disponibles les plus fiables au moment de l’examen de l’AMM. Ces données peuvent être utilisées pour contester une autorisation de mise sur le marché d’un pesticide devant les juridictions de l’Etat Membre ayant accordé une AMM la faveur d’une évaluation des risques insuffisamment motivée par l’Etat membre rapporteur.

L’apport majeur de l’arrêt C-308/22 est de préciser que les données disponibles ne se limitent pas aux documents d’orientation de l’EFSA adoptés par la Commission européenne et les Etats membres au moment de l’introduction de la demande d’AMM mais bien aux « données scientifiques ou techniques les plus fiables… sans égard à leur source ou au moment auquel elles sont devenues accessibles » (Point 92).

Ainsi l’évaluation des risques effectuée par l’Etat membre avant délivrance d’AMM ne peut se limiter au suivi des documents d’orientation de l’EFSA lorsque ceux-ci sont devenus obsolètes vu l’évolution des connaissances scientifiques. L’Etat qui doit se prononcer sur la délivrance d’une AMM pour un pesticide n’est donc pas tenu par l’évaluation initiale de l’Etat membre rapporteur. Bien que les Etats membres ne puissent réévaluer l’approbation d’une substance active lors de l’examen d’un dossier de demande d’AMM de produit en contenant, l’autorisation d’un produit n’est pas une mise en œuvre automatique de l’approbation de sa substance active.

Dès lors, un Etat membre n’est pas obligé d’accorder une AMM à un pesticide contenant une substance active qui, bien qu’approuvée, pose un risque inacceptable pour la santé s’il existe des preuves scientifiques de cet effet.

« Afin de contester l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique sur le territoire de l’État membre qui prend une décision concernant une telle autorisation au titre de cette dernière disposition, il peut être invoqué devant les autorités ou les juridictions de cet État membre les données scientifiques ou techniques disponibles les plus fiables, en vue d’établir que l’évaluation scientifique des risques réalisée par l’État membre examinant la demande au titre de l’article 36, paragraphe 1, de ce règlement, concernant ledit produit phytopharmaceutique, est insuffisamment motivée. » (Point 110).