Rapport de l’ANSES sur les pesticides au glyphosate : un scandale de plus

Partagez cet article

Le 27 mars, sous pression d’une démarche juridique avec le journal Le Monde, l’ANSES a rendu public un rapport, qui avait été enterré en 2016, sur l’évaluation de la génotoxicité des formulations au glyphosate. Huit ans plus tard, le rapport confirme l’absence de tests de génotoxicité de ces formulations, tout en proposant des méthodologies pour les réaliser, qui ont été ignorées par l’ANSES. Contrairement à ce qu’elle semble affirmer, l’agence n’a jamais appliqué ces recommandations.

Cette nouvelle affaire ne fait que renforcer le message de Secrets Toxiques et l’urgente nécessité de la mise en place de tests de toxicité à long terme des produits tels que commercialisés pour appliquer la loi et protéger les citoyennes et citoyens européens.

Contexte

En 2016, alors que le débat autour de la réapprobation du glyphosate faisait rage, l’ANSES a été chargée par ses tutelles de produire un rapport sur les procédures en place pour l’évaluation de la génotoxicité des formulations au glyphosate. Un sujet qui nous intéresse tout particulièrement à Secrets Toxiques, puisque l’arrêt « Blaise » de la Cour de Justice de l’Union européenne du 1er octobre 2019 donne aux agences réglementaires la responsabilité de se doter des moyens techniques et scientifiques d’évaluer ce risque.

Le rapport a disparu sans être ni endossé, ni rejeté, en septembre 2016. Le journal Le Monde, par l’intermédiaire d’une procédure juridique, est parvenu à pousser l’ANSES à sa publication le 27 mars 2024.

Le constat de l’insuffisance des tests existants

Le groupe d’experts ayant rédige le rapport est clair sur l’insuffisance des données disponibles pour se prononcer sur la génotoxicité des formulations :

« Aucune étude de génotoxicité n’est disponible sur la préparation représentative du [rapport d’évaluation]. […] La diversité des formulations, de composition inconstamment définie, testées avec leur lot d’inconnues […], la diversité des systèmes d’essai mis en jeu […], les incertitudes expérimentales, les biais relatifs aux normes de qualité scientifique…ne permettent pas de conclure quant à la génotoxicité et la mutagénèse de ces formulations du glyphosate »

Un schéma constant : ignorer les études universitaires

Au sein même du rapport, nous avons retrouvé ce que nous avons pu définir comme une constante au sein du rapport d’évaluation fourni pour la réapprobation du glyphosate en 2023. Les études universitaires indépendantes sont ignorées au motif qu’elles ne sont pas réalisées selon les soi-disant « Bonnes Pratiques de Laboratoire » (BPL). Or, ces bonnes pratiques ne sont historiquement que des normes imposées aux tests pratiqués par les industriels après la découverte d’abus dans les dispositifs expérimentaux, biaisant les résultats. Les scientifiques indépendants n’ont aucune raison d’adopter ces soi-disant « bonnes pratiques », couteuses en moyens pour un gain faible en termes de résultats.

Résultat : seuls les industriels font des tests suivant ces « bonnes pratiques », et ils ne font que ceux qui leur sont réclamés. Etant donné qu’aucun test sur les risques de toxicité à long terme des formulations ne leur est formellement réclamé, et que les études indépendantes ne respectent pas le cadre des soi-disant « bonnes pratiques », in fine aucun test portant sur la génotoxicité ou la toxicité à long terme sur les formulations n’est pris en compte pour l’évaluation !

C’est ce qu’il s’est passé pour trois études montrant la génotoxicité du glyphosate, mais ne respectant pas ces « bonnes pratiques », et donc écartées du rapport. Un avis divergent a été rendu par l’un des experts mandatés :

« Sur la méthode, un article scientifique n’a pas à mon avis à être analysé sur la base de critères BPL et de lignes directrices, mais sur la base des critères partagés par la communauté scientifique. […] Il n’est pas logique de demander que les expérimentations d’un article scientifique répondent à une ligne directrice OCDE, ce n’est pas l’objectif. En revanche la qualité de l’expérimentation peut être questionnée, mais j’aboutis à une analyse différente de celle rapportée. »

Des propositions formulées par le groupe d’experts

Le groupe d’experts ne se contente pas du constat de l’insuffisance. Il formule également des propositions d’évolution méthodologique, développées dans la conclusion synthétique et sur plusieurs pages dans son point 3 : « Etudes de génotoxicité supplémentaires à conduire sur les préparations à base de glyphosate et POEA »

Le communiqué de Générations Futures commente ainsi ces propositions

« Les experts recommandaient pour évaluer de manière sûre et fiable la génotoxicité des formulations à base de glyphosate, la réalisation d’une batterie de tests, incluant 2 tests in vitro et un test dit ‘des comètes’ in vivo. En effet, comme il existe de nombreuses alertes dans la littérature montrant des effets génotoxiques lorsque le test des comètes est réalisé sur des formulations à base de glyphosate, les experts ont estimé que ce test, couplé aux tests in vitro, permettrait de statuer sur le potentiel génotoxique et mutagène des produits. »

Rappelons toutefois que cette amélioration ne porte que sur la seule génotoxicité et ne dit donc rien des autres effets à long terme de la formulation dont Secrets Toxiques réclame l’évaluation réelle : carcinogénicité, reprotoxicité, neurotoxicité. Nous avons pour cela récemment obtenu du Parlement européen qu’il réclame la mise en œuvre d’une méthodologie ad hoc à la Commission européenne, par l’intermédiaire d’une pétition au Parlement européen.

L’ANSES cherche maladroitement à se dédouaner

En publiant le rapport, l’ANSES a adjoint une note introductive de 10 pages, dans laquelle elle explique que les recommandations du rapport ont été prises en compte.

« L’exigence réglementaire a donc rejoint les premières orientations des travaux du GECU : des tests de génotoxicité étaient désormais systématiquement exigés en France pour traiter les demandes d’AMM de produits contenant du glyphosate »

Outre que Générations Futures dénonce dans son communiqué l’absence du test in vivo mentionné par les experts du GECU dans les procédures de réapprobation du glyphosate en 2017 comme en 2023, Secrets Toxiques note que la note introductive affirme que :

« Pour mettre en œuvre cette exigence spécifique lors de l’évaluation des produits, l’Anses s’est appuyée sur les recommandations méthodologiques de l’EFSA figurant dans un avis scientifique sur les stratégies de test de génotoxicité. »

Il est regrettable que le document précis n’ait pas été cité par l’agence, afin que le lecteur puisse précisément connaître la nature de ces recommandations. Nous pouvons toutefois affirmer que toutes les références de ce type qui nous été adressées en trois ans d’échanges répétées montraient systématiquement leur insuffisance à adresser les objectifs scientifiques pour lesquelles elles étaient produites.

L’ANSES cherche maladroitement à se dédouaner

Toute cette affaire révèle, sur le fond comme sur la forme, à quel point la carence d’absence d’évaluation de la toxicité des formulations de pesticides porte atteinte à la santé des citoyennes et des citoyens, de l’environnement européen, mais également au respect du droit et des institutions.

Secrets Toxiques a mutliplié les démarches juridiques pour obtenir une évolution sur ce point : recours au Conseil d’Etat en février 2023, action en annulation et demande de réexamen interne sur la réapprobation du glyphosate en janvier 2024. Plus récemment, l’audition de la coalition au Parlement européen a amené le Parlement à soutenir nos demandes que la Commission européenne produise une méthodologie pour les risques génotoxiques, mutagènes, cancérigènes, reprotoxiques et neurotoxiques, permettant d’appliquer réellement le droit en matière d’approbation de pesticides.

Dans un contexte de disparition des insectes, d’empoisonnement des agriculteurs, et de maladies chroniques rampantes dans la population, il est plus que temps d’être à la hauteur des exigences du droit et de l’époque. Nous demandons à l’ANSES et à l’EFSA d’agir au plus vite pour mettre en œuvre les recommandations du groupe d’experts du rapport qu’elle a enterré en 2016, et développer de réelles évaluations de la toxicité à long terme des pesticides.

Pour en savoir plus